Peut-être ne peut-on poser la question qu’est-ce que la philosophie que tard, quand vient la vieillesse, et l’heure de parler concrètement. C’est une question qu’on pose quand on n’a plus rien à demander, mais ses conséquences peuvent être considérables.
Auparavant on la posait, on ne cessait pas de la poser, mais c’était trop artificiel, trop abstrait, on l’exposait, on la dominait plus qu’on n’était happé par elle. Il y a des cas où la vieillesse donne, non pas une éternelle jeunesse, mais au contraire une souveraine liberté, une nécessité pure où l’on jouit d’un moment de grâce entre la vie et la mort, et où toutes les pièces de la machine se combinent pour envoyer dans l’avenir un trait qui traverse les âges Turner, Monet, Matisse. Turner vieux a acquis ou conquis le droit de mener la peinture sur un chemin désert et sans retour, qui ne se distingue plus d’une dernière question.
Nous ne pouvons pas prétendre à un tel statut. Simplement, l’heure est venue pour nous de demander ce que c’est que la philosophie. Et nous n’avions pas cessé de le faire précédemment, et nous avions déjà la réponse, qui n’a pas varié la philosophie est l’art de former, d’inventer, de fabriquer des concepts. Mais il ne fallait pas seulement que la réponse recueille la question, il fallait aussi qu’elle détermine une heure, une occasion, des circonstances, des paysages et des personnages, des conditions et des inconnues de la question. Gilles Deleuze.